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L'inoubliable Daniel Balavoine
29 octobre 2019

Le Huffington Post lundi 28 décembre 2015 Nous sommes Balavoine

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Didier Varrod

CULTURE - Le 16 décembre dernier. Mercredi soir. Il est un peu plus de 22 h et le public applaudit à tout rompre à la fin de la projection privée, au Cinéma Action, de mon documentaire "J'me présente je m'appelle Daniel" écrit avec Nicolas Maupied.

Les personnes présentes applaudissent notre travail mais surtout celui qu'ils ont découvert ou redécouvert ce soir-là sur grand écran. Daniel Balavoine, chanteur de son état, mort en héros involontaire à l'âge de 33 ans alors qu'il menait une opération humanitaire au Mali. Un peu plus de 300 personnes sortent de la salle, les yeux rougis par l'émotion. Une partie n'a connu ni le chanteur ni son époque. L'autre s'est tout à coup revue dans un moment précis d'histoire. Chacun semble pleurer cette France oubliée.

Ce pays où l'on vivait déjà les mêmes tragédies: le chômage, le racisme, l'exclusion, le terrorisme, le Front national, la gauche coulée dans les eaux du Pacifique avec le Rainbow Warrior... Mais où ces porte-voix, Coluche et Balavoine, tenaient sans cesse en alerte nos consciences tentées par le grand sommeil. Pour Balavoine, tout avait commencé en 1977 avec l'album "Les aventures de Simon et Gunther" qui racontait la tragédie de deux frères, séparés par le mur de Berlin. C'était au temps où la guerre froide cristallisait les engagements, où ce mur de la honte était aussi le symbole malheureux que le capitalisme n'avait pas encore tout gagné.

Trois ans plus tard, le chanteur est face à François Mitterrand qui se prépare pour sa troisième campagne présidentielle. Nous sommes le 19 mars 1980. Ce jour-là, Balavoine flingue en direct et sans filet l'espérance incarnée par le leader socialiste, et plaque au sol nos illusions que personne n'a envie de voir. Il prévient ceux qu'il désigne comme "les grandes personnes qui font de la politique" qu'il est encore temps de changer de logiciel. Le constat est sans appel.

Après les élections régionales de décembre dernier, on a entendu les hommes politiques dire qu'ils avaient retenu la leçon et qu'ils ne feraient plus jamais de la politique comme avant. Avant la montée du Front national. En 1980, Balavoine pointe du doigt le désespoir de la jeunesse, mobilisateur et terreau fertile pour créer les conditions du terrorisme.

Trente ans plus tard, c'est bien une forme désespoir qui mobilise parfois cette jeunesse qui bascule pour faire le jihad. Trente ans plus tard c'est aussi le manque de transparence et d'exemplarité, que déplorait Balavoine, qui mène le Front National au coeur de l'appareil politique français, là où cela se joue précisément et concrètement, c'est à dire dans la réalité des territoires et de l'ancrage local.

Dans les années 80, c'est un chanteur qui nous dit tout cela. Qui tente de nous prévenir du mal qui nous guette. Avec ses colères nécessaires qu'il déploie dans la lucarne cathodique, mais aussi et surtout avec de grandes et belles chansons dont on n'a pas toujours écouté la puissance des textes. Sans avoir fait Sciences Po (même s'il en avait peut être rêvé un temps) ni même suivi un cursus universitaire, qui selon les élites donnent le droit à être légitime pour parler, Daniel Balavoine s'emportait pour ce qui lui importait. Il faisait de la politique sentimentale. Ce qui immunisait d'une certaine façon la politique contre le cancer de la désillusion. Sa disparition brutale, quelques mois avant celle de Coluche, a mis à mort une certaine forme d'engagement chez les artistes.

Trois décennies ont passé. On a presque du mal à se souvenir de leur mobilisation effective au moment où l'extrême droite prenait par les urnes ses premières municipalités. Les chanteurs sont aujourd'hui presque tous devenus aphones devant la conquête du pouvoir par l'extrême droite, qui paraît presque inéluctable. Beaucoup de chanteurs sont aussi restés sans voix après la tragédie des attentats du 13 novembre. Il faut dire que la société du spectacle a bien réussi son travail de sape en faisant de l'engagement un spectacle. Après s'être substitué au politique, l'artiste culpabilisé par le charity business a fini par être convaincu que chacun devait rester à sa place. Rester saltimbanque et surtout ne pas se mêler des affaires du peuple.

Ecoutez Marine Le Pen faire la leçon à Dany Boon qui s'engage contre son éventuelle victoire aux régionales: "Il faut arrêter de prendre les électeurs pour des enfants de quatre ans. Dany Boon est un acteur parfait, qui vit à l'étranger, qui vit probablement très bien et je ne crois pas qu'il ait des leçons de morale à donner à qui que ce soit." La chef du Front national pense taper là où ça fait mal. Au coeur d'un peuple d'artistes, nantis, vivant dans des quartiers bobos (ou à l'étranger), à l'abri de la souillure que provoque la présence d'un migrant, de la peur que suscite le voisin qui va prier à la mosquée, ou très loin de la désespérance d'un chômeur de longue durée. Et même si c'était vrai, qu'est-ce qui devrait empêcher un artiste de l'ouvrir?

Puisqu'être artiste c'est normalement prendre des risques, pour dire le monde selon soi. Cela s'appelle, quoi que l'on en pense, s'inscrire dans le champ social et politique. La parole libre de Balavoine nous renvoie au silence assourdissant des artistes aujourd'hui. S'ils parlent, c'est le plus souvent chez eux et entre eux, bien au chaud sur leur compte Twitter, Facebook ou Instagram.

Mais tout n'est pas désespéré. J'ai pu grâce à ce film et au livre qui va l'accompagner faire parler des artistes d'aujourd'hui. Des rappeurs mais pas seulement. Des capteurs d'émotions qui ne demandent qu'à être réveillés. Qui nous disent qu'ils n'ont pas attendu les politiques publiques pour s'intégrer à la nation. Que ce sont Brassens, Brel, Renaud, Balavoine ou Souchon qui les ont construits dans cette grande et belle idée de l'identité nationale. En tant que Directeur de la musique à France Inter, j'ai aussi cette lourde responsabilité qui m'engage.

Donner encore et toujours la parole à celles et ceux qui ne se résignent pas à accepter la fatalité de la "désabusion", encourager le courage, déculpabiliser la prise de parole politique affective, revenir à la politique poétique. Il n'y a plus de temps à perdre.

Pour aller plus loin:

"J'me présente, je m'appelle Daniel" de Didier Varrod & Nicolas Maupied, diffusion le 30 décembre sur France 3 à 20H50

Didier Varrod - Génération Balavoine Ed. Fayard - Sortie le 11 janvier 2016

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