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L'inoubliable Daniel Balavoine
25 juillet 2021

Réécouter Balavoine (Le Figaro, 20 décembre 2005)

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CHANSON Vingt ans après sa mort en pleine gloire, une intégrale, une biographie et deux DVD invitent à renouer avec un artiste et une oeuvre riches en singularités.

Bertrand DICALE

EN 1983, il avait dû abandonner le Paris-Dakar, mais avait découvert l'Afrique. L'année suivante, sa voiture avait cassé dans la deuxième spéciale et il avait suivi à petite vitesse la caravane des bolides, rencontrant encore une fois « des pays et des gens », comme il le dirait plus tard. En 1985, il avait terminé l'épreuve à la 28e place. L'ambition sportive était comblée, mais il était de plus en plus convaincu qu'il fallait une autre manière d'aborder l'Afrique. Alors, l'année suivante, il partait avec le Paris-Dakar pour veiller à l'implantation de pompes dans les régions traversées par le rallye et pour tenir une chronique radiophonique quotidienne sur l'Afrique, ses besoins et l'aide que l'Occident pouvait lui apporter. On connaît le dénouement : le 14 janvier 1986, Daniel Balavoine est tué avec Thierry Sabine, fondateur du Paris-Dakar, dans l'accident de l'hélicoptère qui les transporte.

Il est alors au sommet de sa gloire, porté depuis plusieurs mois par l'énorme succès de son huitième album en studio, Sauvez l'amour, et du single L'Aziza. A l'époque, on n'emploie plus guère le mot d'« engagé » en ce qui concerne les chanteurs, mais on ne les qualifie pas encore de « citoyens ». Il incarne pourtant un modèle nouveau, quelque part entre la légèreté assumée des variétés et l'exigence morale et politique. On danse sur ses tubes dans les campings, mais il porte un regard volontiers acide sur la société de son temps, il tourne la tête des midinettes, mais il fait scandale en lançant sur l'antenne d'une FM parisienne son fameux « j'emmerde les anciens combattants ».

C'est pourquoi le vingtième anniversaire de sa mort ne ressemble pas à la seule célébration d'un gros vendeur de 45-tours des années 80. Dans la préface qu'il a écrite pour Le Roman de Daniel Balavoine, la biographie que lui consacre Didier Varrod, son « confrère » Jean-Jacques Goldman, dont l'ascension fut parallèle à la sienne, affirme : « Il était viscéralement plus qu'un artiste. Un activiste, un meneur, un acteur du monde. » C'est d'ailleurs un hasard troublant que, cette même année 1986, mourut aussi Coluche, qui lui aussi avait voulu être plus qu'un amuseur et peser sur le sort de la société.

Le paradoxe de Balavoine est qu'il se battit longtemps pour atteindre à une crédibilité qu'il approchait peut-être à sa mort. Il avait pourtant de solides états de service, comme cette fumante colère qui l'avait saisi lors d'un débat télévisé avec François Mitterrand, secrétaire général du Parti socialiste, en 1980. Ses chansons ne cachaient guère ses opinions, de la haine du nazisme et du communisme (dans l'album Les Aventures de Simon et Gunther, 1977) à la méfiance devant le gauchisme ( Les Oiseaux, 2e partie, 1978), de la dénonciation des dictatures ( Revolucion, 1983) à une active conscience tiers-mondiste ( Pour la femme veuve qui s'éveille, 1983, ou L'Aziza, 1985).

L'artiste à l'engagement humanitaire

Il est vrai qu'il repoussait les affirmations d'engagement politique à la Jean Ferrat ou même la rage d'un Renaud. Il semblait chercher une autre voie, plus douce et plus instinctive. Ainsi se qualifiait-il, en 1981 à la télévision, de « chanteur bêtement sentimental, c'est-à-dire qu'il y a des choses que je pense, que j'ai envie de dire, et je ne me trouve aucune raison de ne pas les dire ». Voilà pourquoi, après avoir fait, trois années de suite, vrombir un moteur dans le Paris-Dakar, il s'embarque dans la caravane du rallye pour mener des actions humanitaires. Voilà pourquoi, aussi, il adhère au groupe local de SOS Racisme comme un citoyen ordinaire plutôt qu'au comité parisien où se bousculent les stars...

Mais il reste les chansons, et les chansons dans leur époque. A Didier Varrod (qui a attendu cet anniversaire pour rassembler archives et souvenirs sur les quelques années où, jeune journaliste, il a suivi de près l'ascension de Balavoine), il confie de manière obsessionnelle son désir de donner à la France une musique qui ne soit pas la copie de la pop anglo-saxonne, mais qui fasse sonner notre langue dans des couleurs et des puissances de son temps. Alors, en voyant les images exhumées sur les deux DVD qui paraissent ces jours-ci, on peut s'amuser des baskets blanches et des larges cols de fausse fourrure des blousons de Balavoine, mais ce qui caractérise le plus ses années 80, ce sont les claviers - le Yamaha DX7, le Fairlight -, leurs effets nasillards et leurs rythmiques trop nettes.

A réécouter Balavoine, on entend les confessions d'un chanteur de variétés qui réfléchi sans cesse à son art, à sa position, à ses responsabilités ( Pas plus intelligent en 1975, Ma musique et mon patois en 1977, Le français est une langue qui résonne, Le Chanteur et France en 1978, Pour faire un disque et Vendeurs de larmes en 1982). Obsession rare dans le paysage français, qui témoigne d'une conscience largement au-dessus des variétés du moment. Il se trouvera évidemment des chansons au devenir un peu piteux (la molle morale de « Supporter, supporter, laisse-pas tomber Saint-Etienne » ), mais il est curieux, vingt ans plus tard, de penser qu'il aura été souvent classé, de son vivant, sur la même étagère que Jean-Luc Lahaye...

Et on se souvient combien il fut méprisé pour des tubes matraqués sur toutes les antennes, combien la gloire lui a coûté en termes de reconnaissance.

La réconciliation posthume est passée par là : Balavoine annonce le chanteur citoyen, qui rudoie les politiques, mais analyse plutôt finement son époque. Depuis, on continue de citer son oeuvre humanitaire peut-être autant que ses chansons, devenues les imparables goldies de toute nostalgie des années 80. Le plus curieux est que la rénovation de la chanson française s'est faite par une autre voie que la sienne : les années de gloire de Balavoine sont celles de l'étiage des variétés françaises, qui ne parviennent plus à faire barrage aux Anglo-saxons, de la hype la plus étroite aux tubes de grande consommation. Balavoine n'annonce pas l'énorme triomphe historique du rock français de Louise Attaque, la déferlante de M ou la gloire bobo de Bénabar. Aurait-il été le dernier héritier des années 70 et du règne des paillettes ? Aurait-il été un humaniste égaré dans le monde de la chanson volatile ? Aurait-il été un rebelle perdu dans les contradictions du commerce de la gloire ? En réécoutant Balavoine, on entend aussi ces questions. Ses questions.

 

Un anniversaire en musique, texte et images

L'intégrale : Balavoine sans frontières. Dans une mallette de voyageur, trois long boxes de quatre CD et un livret, pour les huit albums studio et les deux double-live parus du vivant du chanteur. On regrette l'absence dans ce coffret de tout document sonore inédit, à l'inexistence desquels on a peine à croire. La réédition est belle, plutôt prestigieuse et assez maniable, une fois les long boxes retirés de leur mallette, mais ce n'est qu'une réédition une peu paresseuse (chez Barclay-Universal).

La biographie :Le Roman de Daniel Balavoine. Didier Varrod réussit un portrait éclaté du chanteur, entre interviews d'époque, souvenirs d'un journaliste fan et analyse assez fine sur Balavoine dans son époque et sa carrière posthume (346 pages, 20 Euro, parution le 2 janvier chez Fayard-Chorus).

Les images : Le Chanteur. Un double-DVD de 4 h 15 avec des clips, des reportages, des interviews, des extraits de concerts. Une moisson de documents bouleversants, d'images kitsch, d'instants de vérité télévisée en direct : la personnalité de Balavoine explique certes la diversité du matériau présenté, mais Annie Amsellem a réalisé là un stimulant travail de compilation audiovisuelle (chez Barclay-Universal).

Le dossier :Chorus-Les Cahiers de la chanson. La revue trimestrielle consacre la couverture et vingt et une pages de son numéro 54 (hiver 2005-06) à Daniel Balavoine avec témoignages, repères et l'essentiel, à savoir sa carrière et son oeuvre.

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