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L'inoubliable Daniel Balavoine
9 février 2022

Les larmes de Daniel. (Extrait du livre Mon Starmania : par la première serveuse automate (Fabienne Thibeault, Pygmalion, 2019)

fabienne

Daniel Balavoine et moi nous sommes bien entendu au cours de l'aventure Starmania. Nous étions des débutants ; moi encore plus que lui. C'est au cours des années 1978 et 1979 que son cultissime titre « Le Chanteur » fit de lui une star. Mais, au moment où il fut choisi pour le rôle de Johnny Rockfort, le jeune artiste était, pour le grand public, un quasi inconnu.

Il aurait pu quitter le bateau, mais son amitié pour France et Michel et son sens de l'engagement le firent rester jusqu'au bout.

Plus loin dans son livre, Fabienne Thibault évoque l'émission de télévision « Avec Starmania » dans laquelle elle interpréta « Monopolis » avec Daniel Balavoine.

Les chansons entrèrent dans le coeur du public et n'en ressortirent plus.

L'émission donna une impulsion à la vente de billets qui stagnait quelque peu, France, l'interprète sensible de cette magnifique mélodie aux textes déchirants et prophétiques-comme tant de texte de Starmania-, venait d'accoucher de sa fille, Pauline. Ce furent donc Daniel et moi qui hume l'agréable et émouvante tache de chanter ce titre à sa place, en duo.

La vidéo-beaucoup vue sur YouTube-nous montre côte à côte et concentrés, conscients de l'importance que revêtait le succès ou l'insuccès de cette émission spéciale, en même temps que du moment vécu par France et Michel. Un documentaire relate que celle-ci a regardé l'émission, sa fille dans les bras.

Un soir de fin mars ou début avril 1979, lors des semaines de répétition qui précédaient la série de représentations au Palais des Congrès, la troupe manifestant un état généralisé de tension, nos nerfs à vifs déchargeaient leur électricité le long des couloirs des loges situées sous le Palais. Diane Dufresne se montrait particulièrement énervée et de mauvaise humeur. Elle arpentait, à grand pas qui claquaient sur le sol, la distance entre sa loge et l'entrée du couloir.

Soudain, elle prit, je ne sais pourquoi, Daniel comme déversoir de son stress exacerbé en lui criant dessus. Je me souviens, comme si c'était hier, de ce qu'elle vociféra avec un accent québécois bien marqué. (En effet, la colère fait remonter les accents et il nous est difficile de manifester notre énervement sans y avoir recours.)

 

« Vous autres, les Français, vous chantez mal, vous n'avez pas de voix ! » Or, si quelqu'un en ce bas monde ne méritait pas ce reproche fait ce constat, c'est bien Daniel Balavoine, vous en conviendrez avec moi. Garçon au fort caractère, il en donna de nombreuses fois la preuve au cours de sa trop courte vie, ne mâchant pas ses mots pour exprimer franchement ses opinions et militant pour les causes qui lui tenaient à coeur. Le premier secrétaire du parti socialiste, futur président de la République, François Mitterrand, en fit les frais lors du journal télévisé d'Antenne 2 de la mi-journée du 19 mars 1980, où Balavoine, les yeux dans ceux de Mitterrand, s'est exprimé en des termes fermes et bien sentis. « La jeunesse se désespère, elle est profondément désespérée parce qu'elle n'a plus d'appui. Elle ne croit plus dans la politique française et, moi, je pense qu'elle a, en règle générale, en résumant un peu, bien raison. Et ce que je peux vous dire, c'est que le désespoir et mobilisateur, et lorsqu'il devient mobilisateur il est dangereux. » Balavoine s'imposa ainsi, sans l'avoir voulu, en quelques minutes, comme « défenseur de la jeunesse française ».

Ce soir-là, pourtant, devant la charge de Diane, Daniel resta sans voix, déconcerté, refusant l'altercation. Il vouait à Diane une admiration sincère et cette attaque lui fit de la peine, le blessa. Il la laissa dire sans rien répondre… Puis il disparut.

Plus tard, allant prendre mes affaires pour rentrer, j'entendis sangloter et renifler. Derrière la porte de sa loge, assis par terre, la tête entre les mains, il pleurait à chaudes larmes.

Chez lui, point de colère, mais de la tristesse et de la déception ; de l'incompréhension surtout.

« C'est pas vrai qu'on chante mal, soufflait-il entre deux soupirs.

-Mais non, rétorquais-je, dans une tentative de consolation en m'asseyant à ses côtés. Tu sais bien comment est Diane. Elle exagère toujours, elle s'emporte et alors ses paroles dépassent sa pensée ».

Il me sourit, d'un sourire un peu forcé. J'attendis un moment en silence puis je partis, le laissant à ses pensées.

Je ne suis pas certaine que son chagrin n'était dû qu'à cette courte algarade ; il y avait en lui un grand fond de tristesse, malgré sa joie de vivre et son sens de l'humour, comme une sorte de drame intérieur, fondamental, une fêlure secrète.

Je reste persuadée, sans y avoir assisté, que Diane s'est excusée auprès de lui. D'abord parce que la Dufresne est une femme droite et juste, malgré son caractère pas toujours facile, et surtout parce qu'elle avait de l'affection et du respect pour lui.

Ces scènes prouvent surtout à quel point les nerfs sont mis à rude épreuve lorsqu'un spectacle est attendu comme le fut Starmania.

Daniel a rapidement endossé le costume de Johnny Rockfort et reste pour toujours le héros de l'opéra-rock. Sa voix, à la couleur si originale et à l'ampleur unique, résonne encore à nos oreilles dans « SOS d'un terrien en détresse » ; cette détresse qui était et est restée une des composantes de sa nature et de son âme. Il s'en est allé en pleine jeunesse, comme si ce rebelle au « coeur tendre », cette âme fougueuse, ce contestataire concerné par le monde qui l'entourait, ne pouvaient vieillir, s'assagir, accepter, courber l'échine, tourner la tête devant les injustices qui sont le lot de nos sociétés humaines.

 

Il nous manque, oh oui, combien il en manque !

Je crois que, là-haut, sa voix s'accorde à celle des anges.

 

 

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