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L'inoubliable Daniel Balavoine
17 octobre 2023

Mes Gens (Paris-Match hors-série du 31 janvier 1986)

globe

 

On a peine à imaginer que Daniel Balavoine soit mort d'autre chose que d'un arrêt du coeur. C'était chez lui l'organe essentiel. La voix qui lui avait servi à se faire connaitre s'élevait de plus en plus souvent pour dénoncer - sans musique - des injustices, des sottises, des misères. Il était de tous les combats contre la malchance et l'adversité, dès lors que ces dernières s'abattaient sur des jeunes, sur des vieux, sur des pauvres, sur des anonymes. Tout naturellement, il s'était rangé au côté de Thierry Sabine dans l'aventure du Paris-Dakar. A la fois parce qu'il adorait les "bagnoles" et parce qu'il avait vu dans le rallye l'occasion d'aller sur le terrain et de lancer en faveur des déshérités du tiers-monde une de ces croisades dont il avait le secret.
Sacré Daniel. A la fois malin et maladroit, parfois chaussé de gros sabots mais si heureux, si fier lorsqu'il avait réussi à jeter un pavé au fond d'une mare dont les eaux lui paraissaient troubles et malsaines. Plus prudent toutefois depuis quelques mois. Les tentatives (pas totalement réussies) de Montand pour devenir un maître à penser en économie ou en politique lui avaient donné à réfléchir. Il appréhendait également d'être pris en otage par un parti, de servir de caution à une idéologie, bref de perdre son âme et son identité dans une opération politicienne dont les tenants et les aboutissants lui auraient par définition échappé. Il était donc demeuré pur. Certes, il ne refusait pas tous les avantages d'un système dont il ne ratait jamais une occasion de dénoncer les erreurs et les implications mais il prenait avec les hommes et avec les entreprises assez de distance pour n'avoir jamais à masquer sa pensée et à parler par intérêt.

Il s'était transformé, en l'espace de dix minutes, en chanteur à idées le 16 mars 1980, en présence de François Mitterrand et de trois caméras de télévision. Il avait dit, ce jour-là, qu'il s'intéressait davantage aux conflits actuels qu'à la guerre de 40. Sous le regard surpris du futur quatrième président de la Vè République, il avait ajouté qu'en politique, le choix ne s'opérait pas entre gens honnêtes et gens compromis mais entre compromis de gauche et compromis de droite. Beau joueur, Mitterrand avait répondu qu'il fallait que tout le monde s'exprime et que cela lui paraissait normal de remettre les hommes politiques en question. C'est Jacques Attali qui avait eu l'idée de faire venir l'auteur de Je ne suis pas un héros à la télévision en même temps que celui qui n'était encore que le Premier secrétaire du Parti Socialiste. Balavoine s'était fait tirer un peu l'oreille " Comment voulez-vous que je parle au nom de la jeunesse ? A trente ans, on n'est plus un jeune. On est jeune quand on ne sait rien." Par la suite les socialistes essayèrent vainement de le récupérer, sans pour autant qu'il allât jusqu'à les désavouer :" C'est vrai que je me sens mieux avec ces gens-là qu'avec les autres. Mais je trouve Mauroy lourdement autoritaire, Fabius me dérange, Badinter ne m'enthousiasme pas et je suis très déçu sur le plan des radios libres. N'importe qui devrait avoir le droit d'en créer une et de pouvoir en vivre. Et puis j'ai l'impression que les affaires gênantes continuent à être enterrées et que la "politicaille" n'a jamais aussi bien marché."

Les princes qui nous gouvernent ainsi que ceux qui ne se consolent pas d'être détronés n'ont aucune indulgence à attendre de lui. Sa première déception remonte à juin 68 : " J'ai cru pendant un peu plus d'un mois qu'il s'agissait d'un évènement vraiment important et que ses porte-paroles avait envie d'autre chose que d'être connus." La révolte n'était pas finie que le chanteur déchantait. Sa déconvenue continua longtemps après : "Rien ne me gêne d'avantage que les objectifs qu'on se fixe. Par exemple la relance par la consommation. On manque de belles et de nobles ambitions comme la paix mondiale, comme l'interdiction aux pays riches d'affamer les pays pauvres pour leur imposer une idéologie.
Devant les abus et les massacres, on reste sans réaction. La radio et la télévision nous font bouffer du mort dix fois par jour, sans qu'aucun d'entre nous songe à lever le petit doigt."

Ce dégoût l'habitait depuis toujours. Mais il n'y a que depuis quelques années que la nécessité de mettre en accord ses actes et ses pensées s'était imposée à lui : "Quand à vingt neuf ans on a la chance, comme moi, de gagner du fric et de pouvoir donner son opinion, il ne faut pas avoir peur de parler quoi qu'il vous en coûte. Je ne me prends pas pour Jésus mais si mon discours ne devait informer qu'un seul type, il serait nécessaire." Les impôts le chagrinaient moins que la destination que l'Etat leur assigne : " Oui, je fais partie des cent huit mille surtaxés et je ne pleure pas tous les matins en me réveillant. Ce qui m'insupporte c'est que les riches ne paient pas pour alléger les charges fiscales des pauvres mais pour compenser la dérobade des fraudeurs."

Son sens civique et sa passion des belles voitures se livraient un combat sans merci : "Parce que j'hésite à brûler trop de carburant, je limite l'usage de ma bagnole aux weeks-ends et aux vacances. Je me console en me disant qu'un chanteur ne doit jeter de la poudre aux yeux que sur scène"

Dans la grande maison - sept pièces entourée d'un beau jardin avec des arbres - qu'il avait acheté à Colombes, il ne vivait pas seul : " J'ai une compagne, une fille une moitié, une femme, bien que nous ne soyons pas mariés, bref une demoiselle qui partage mon existence mais dont je ne suis pourtant pas le chanteur préféré. J'ai un petit garçon de seize mois qui s'appelle Jérémie et je serai en mai papa pour la seconde fois"

Professionnellement, il donnait du travail à dix-sept personnes, dans un climat libéral fondé sur la concertation et sur un certain sens de l'égalité : "Mes musiciens ne sont pas à vingt mètres derrière moi et je ne porte pas des paillettes quand il sont des costumes noirs."
Son humilité et son altruisme s'arrêtaient là. Il a rempli tout seul l'Olympia pendant cinq jours et il n'y avait pas d'autre nom que le sien sur l'affiche du Palais des Sports : " Pas question de me produire dans le spectacle de quelqu'un d'autre. J'ai toujours eu envie de chanter pendant une heure et demie. Si je bénéficie aujourd'hui de quelques privilèges, je ne les dois qu'à moi même."
Ses galons, il les a gagnés un à un comme chanteur de bal : "On ne travaillait que le samedi et le dimanche, Le reste du temps je glandais."
Parce qu'il ne supportait pas la dictature des directeurs artistiques, il s'est arrêté de chanter pendant deux ans et il est devenu le choriste de Patrick Juvet : "Je regardais, j'écoutais, j'apprenais mon métier et j'attendais mon heure".
L'heure était venue mais il appréhendait qu'elle ne dure pas jusqu'au bout : "Je ne vais pas courir à perpétuité après les applaudissements. Entre nous, la chanson est un produit bâtard, une poésie ratée que l'on plaque sur une symphonie ratée. Ca ne vaut pas qu'on y consacre toute son existence. Je ne ferai pas d'adieux parce que je me méfie des retours.
Je ne dis pas que je ne ferai pas l'Olympia dans vingt ans. Je dis que je ne le ferai pas pendant vingt ans."

Il débordait de projets qui n'avaient rien à voir avec ses activités actuelles. Il rêvait de s'attaquer à un grand roman : "Je rêve d'une belle histoire que les lecteurs dévoreraient d'une seule traite jusqu'à la dernière page."
Il avait envie également d'écrire dans les journaux : "Je crois avoir des qualités de pamphlétaire puisque chaque fois qu'il se passe quelque chose, je réagis tout de suite et je réfléchis après."
Dans tous les tabliers, il faisait pleuvoir ses vérités premières. Mais presque en priant qu'on l'excuse d'avertir ses contemporains, à l'instar du petit garçon du conte d'Andersen, que le roi était tout nu.Le reste de ses années sabbatiques devait être consacré à la lecture. Sur la fin, il parlait d'avantage de Kafka et de Camus que de Stark et de Mathieu. Le cinéma le tentait aussi : "Pour rigoler. Pour le plaisir d'être un autre mec après le clap."

Dix ans passés chez les curés lui avaient fait perdre la foi mais pas ses réflexes : "Je ne crois plus en rien mais je me surprends de temps en temps à parler du Bon Dieu. C'est le grotesque des textes et de la lithurgie qui m'ont éloigné de la religion, et aussi la certitude que le Dieu de quatre cent millions de chrétiens n'avait aucune raison d'être meilleur que le Dieu des musulmans ou des juifs."

Compositeur de chansons à succès, il ne connaissait pas les notes. Il jouait "à la feuille", mémoire sur un magnétophone et fredonnait à l'oreille de ses arrangeurs les airs qui lui passaient par la tête.

En 1982, pour la première fois, il avait vraiment eu envie d'avoir des enfants : "J'ai passé la crise de ceux qui s'interdisent de procréer sous prétexte que l'avenir est sombre. Je trouve bien prétentieux d'affirmer que le monde va disparaitre après nous. Quelles que soient les guerres, il y aura toujours plus de survivants que de morts."

Il a disparu, fidèle à sa promesse. Sans faire d'adieux, et pourtant sans espoir de retour.

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